***Le livre de la méditaion et dela vie***Jiddu Krishnamurti***
Ce livre a pour objet de décrire certaines parties du monde suprasensible. Ceux qui n’accordent de valeur qu’au monde des sens, le considéreront comme le produit d’une fantaisie déréglée. Mais ceux qui cherchent les voies par lesquelles on sort du monde physique, auront tôt fait de comprendre que la vie humaine ne prend de sens et de valeur que lorsque s’ouvre la perception d’un autre monde.Cette perception nouvelle ne nous éloigne pas du monde « réel » comme d’aucuns le craignent. Seule, au contraire, elle nous donne la confiance et la fermeté nécessaires pour la vie.Elle nous fait découvrir les Causes, tandis que, sans elle, nous tâtonnons comme des aveugles dans le monde des Effets...
Mais l’observateur des mondes suprasensibles ne doit pas parler aux seuls explorateurs de ces mondes. Ses paroles s’adressent à tous les hommes. Car les choses qu’il rapporte les concernent tous : bien plus, il sait que sans la connaissance de ces choses nul n’est « homme » au vrai sens du mot. Et il s’adresse à tous les hommes, parce qu’il se rend compte qu’il existe plusieurs degrés dans la compréhension de ce qu’il enseigne. Il sait que même ceux qui sont encore loin de l’heure où l’investigation spirituelle leur sera permise, peuvent le comprendre. Car il est donné à tout homme de sentir et de comprendre la vérité. Et c’est à cette faculté de compréhension propre à toute âme saine qu’il s’adresse tout d’abord. Il sait aussi qu’en cette compréhension gît une force qui, peu à peu, entraînera l’homme à des degrés supérieurs de connaissance...
Le sentiment de la vérité est, en effet, le magicien qui ouvre « l’œil de l’esprit » même à ceux qui, au début, ne voyaient rien de ce dont on leur parle. Ce sentiment agit dans l’ombre ; l’âme ne voit pas, mais, grâce à lui, la puissance de la vérité s’empare d’elle, et, peu à peu, en la pénétrant, éveille en elle le « sens supérieur ».Selon les individus, il faut plus ou moins de temps pour atteindre ce but ; quiconque est doué de patience, l’atteindra sûrement. Car, si tous les aveugles-nés physiques ne peuvent pas être opérés,tout œil spirituel peut être ouvert, il n’y a là qu’une question de temps...
N’allez pas croire qu’il suffise que le sens supérieur se soit ouvert chez un homme pour qu’il acquiert la maîtrise dans ces domaines élevés. Pour cela il faut de la « science » au même titre que lorsqu’il s’agit du domaine des réalités ordinaires. Pas plus qu’on n’est un « savant » parce qu’on possède des sens bien développés, on n’est un « sage » parce qu’on a atteint la « vision »supérieure. Et puisque, en vérité, toute réalité, que ce soit la réalité inférieure ou la réalité spirituelle supérieure, n’est qu’un des côtés différents d’une seule et même entité fondamentale, l’homme ignorant en ce qui concerne les connaissances inférieures, le restera généralement aussi, lorsqu’il s’agira de connaissances plus hautes...
Ce fait éveille chez l’homme qui se sent appelé par une vocation spirituelle à se prononcer sur les domaines élevés de l’existence, un sentiment de responsabilité sans bornes. Il lui impose la modestie et la réserve. Mais il ne doit empêcher personne de s’occuper des vérités supérieures, pas même celui auquel la vie ne permet pas de s’instruire dans les sciences ordinaires. Car on peut accomplir parfaitement son devoir d’homme sans rien comprendre à la Botanique, à la Zoologie, aux Mathématiques, ou à toute autre science. Par contre, on ne peut pas être « homme » au sens complet du mot, sans avoir pénétré d’une façon quelconque l’essence et la destinée de l’homme que nous dévoile la science spirituelle...
L’homme qualifie de « divin » l’idéal le plus haut vers lequel il puisse lever les yeux. Et il sent que sa destinée suprême doit, en quelque manière, être liée à cette divinité. C’est pourquoi nous sommes en droit d’appeler « Sagesse divine » ou « Théosophie » cette sagesse qui, dépassant le monde des sens, révèle à l’homme son essence et sa destinée. On peut appeler science spirituelle l’étude des phénomènes spirituels qui se passent dans la vie humaine et dans l’univers. Dans ce livre nous avons réuni les données qui ont trait particulièrement au noyau spirituel de l’être humain : c’est pourquoi le nom de théosophie lui convient, ayant été depuis des siècles employé dans ce sens...
C’est dans l’esprit que nous venons d’indiquer, que nous donnerons ici l’esquisse d’une conception théosophique de l’Univers.L’auteur n’expose rien qui ne soit pour lui un fait, dans le même sens où un phénomène du monde extérieur est un fait pour les yeux, les oreilles et l’entendement ordinaire. N’a-t-on pas affaire ici à des expériences accessibles à toute personne résolue à suivre la voie désignée dans un chapitre particulier de cet ouvrage sous le nom de « Sentier de la connaissance » ? Le point de vue qui sied aux choses du monde spirituel est celui qui accorde à l’intelligence et au sentiment normalement développés, la capacité de saisir tout enseignement réel découlant des mondes supérieurs. Il admet qu’en prenant pour point de départ cette intelligence et ce sentiment des choses,on peut faire un pas important vers le développement de la vision personnelle, bien qu’il faille encore autre chose pour l’atteindre...
C’est fermer la porte à la véritable connaissance supérieure que de mépriser cette voie et de ne chercher que par d’autres moyens l’accès des mondes spirituels.Avoir pour principe de n’admettre l’existence de ces mondes qu’après les avoir vus, c’est entraver cette vision même.Vouloir d’abord comprendre par la pensée saine ce que plus tard on observera,c’est favoriser la vision. C’est provoquer, comme par enchantement, l’apparition de forces essentielles à l’âme, qui mèneront celle-ci à la « vision du voyant »...
Les paroles suivantes caractérisent en termes heureux le point de départ de l’une des voies par lesquelles nous pouvons parvenir à la connaissance de la nature humaine.« Dès lors que l’homme prend conscience des objets qui l’entourent, il les considère par rapport à lui-même ; et il a raison, car toute sa destinée dépend de l’impression favorable ou défavorable qu’ils font sur lui, de l’attrait qu’il trouve à ces objets, ou de la répulsion que ceux-ci lui inspirent, de l’utilité qu’ils peuvent avoir pour lui ou du dommage qu’ils peuvent lui causer. Cette manière toute naturelle de considérer les choses et de les estimer paraît être aussi facile qu’elle est nécessaire, et pourtant, elle expose l’homme à mille erreurs qui, souvent, le remplissent de confusion et d’amertume...
« Une tâche beaucoup plus lourde est assumée par ceux qui, dans leur avidité de connaître,cherchent à observer les choses de la nature en elles-mêmes et dans leurs rapports entre elles ; car bientôt ils perdent les points de comparaison dont ils s’aidaient quand ils considéraient les choses par rapport à eux-mêmes, êtres humains. Il leur manque ce critérium représenté par l’impression favorable ou défavorable, par l’attrait ou la répulsion, par l’utilité ou le dommage que leur causaient les choses, ils doivent y renoncer complètement ; comme des êtres indifférents aux choses et pour ainsi dire divins, ils doivent rechercher et observer ce qui est et non ce qui leur plaît. C’est ainsi que le vrai botaniste ne doit être touché ni par la beauté, ni par l’utilité des plantes ; il doit examiner leur structure, leurs rapports avec l’ensemble du règne végétal ; et, de même que le soleil luit sur toutes les plantes et les fait éclore, de même le botaniste doit les considérer et les envelopper toutes d’un même regard calme et tirer, non de lui-même, mais du milieu des objets qu’il observe les données de son jugement, les mesures de sa connaissance. »
Cette pensée de Gœthe attire notre attention sur trois points. En premier lieu, sur les objets eux-mêmes dont l’existence nous est continuellement révélée par nos sens, objets que nous touchons, que nous sentons, goûtons, entendons et voyons. En second lieu, sur les impressions que ces objets font sur nous, sur le plaisir ou le déplaisir, sur le désir ou l’aversion qu’il nous inspirent et qui se manifestent par le caractère agréable ou désagréable, utile ou nuisible que nous leur attribuons. Et, en troisième lieu, sur les connaissances que nous acquérons en tant qu’êtres « pour ainsi dire divins » sur la nature de ces objets, sur les mystères de leur existence et de leur activité.Les trois domaines auxquels font allusion les paroles de Gœthe se distinguent nettement dans la vie humaine. Et l’homme se rend compte qu’il se rattache au monde de trois manières différentes. La première manière lui est innée, c’est celle qui lui fait accepter le monde comme une donnée immédiate de ses sens. La seconde manière est celle qui lui fait accorder une signification aux choses par rapport à lui. Et la troisième est celle qui représente le but vers lequel il doit tendre sans cesse...
Pourquoi le monde revêt-il pour l’homme ces trois aspects ? Le plus simple examen peut nous l’apprendre.Je traverse une prairie parsemée de fleurs. Les fleurs révèlent leurs couleurs à mes yeux. C’est là la donnée du monde que j’accepte. Je trouve plaisir à la magnificence de ces couleurs. Je m’approprie ainsi la donnée. Par mes sentiments, je rattache les fleurs à ma propre existence. Après un an, je repasse par la même prairie. D’autres fleurs y poussent. Une joie nouvelle m’est donnée par elles. Elle réveillera le souvenir de la joie que j’éprouvais il y a un an. Celle-ci demeure en moi, l’objet qui la fit naître n’est plus. Mais les fleurs que je vois actuellement sont de la même nature que celles de l’an passé, les mêmes lois ont présidé à leur croissance...
Que je me sois instruit sur cette nature et sur ces lois, et je les retrouverai dans les fleurs de cette année,comme je les ai trouvées dans celles de la saison dernière. Les fleurs de l’an dernier ont disparu, me dirai-je, la joie qu’elles m’ont communiquée ne demeure que dans mon souvenir, elle n’est plus liée qu’à mon existence. Mais la nature de ces fleurs et les lois que j’ai reconnues en elles l’an passé et que je retrouve à présent, celles-là demeureront tant que pousseront des fleurs pareilles. Cette nature et ces lois se sont révélées à moi, mais elles ne dépendent nullement de mon existence, comme en dépend ma joie. Le sentiment demeure en moi ; les lois, l’essence des fleurs résident en dehors de moi, dans le monde.
Voilà comment l’homme se met constamment en rapport avec le monde de trois manières.Ne cherchons pas pour le moment à interpréter ce fait, acceptons le simplement tel qu’il se présente à nous. Il en résulte que la nature humaine a trois côtés. Et ce sont ces trois côtés que, jusqu’à nouvel ordre, nous désignerons ici sous les noms de corps, âme et esprit. Toute idée préconçue ou même toute hypothèse dont on voudrait les charger ne ferait que nuire à l’intelligence de ce qui va suivre.Par corps nous entendons ce par quoi les choses du monde environnant se révèlent à l’homme ; telles, dans l’exemple qui précède, les fleurs de la prairie...
Par âme, ce par quoi l’homme rattache les choses à sa propre existence, ce par quoi il éprouve du plaisir ou de la peine, de l’attrait ou de la répulsion à l’égard de ces choses.Par esprit, nous entendons ce qui se révèle à lui quand, selon la parole de Gœthe, il contemple les choses — « comme un être en quelque sorte divin ». C’est dans ce sens que l’homme se compose du corps, de l’âme et de l’esprit.Par le moyen de son corps, l’homme peut immédiatement se mettre en rapport avec les choses ; grâce à son âme, il conserve en soi les impressions qu’elles lui ont faites ; et dans son esprit se révèle à lui l’élément durable, inhérent aux choses elles-mêmes. On ne peut espérer comprendre l’homme qu’en le considérant sous ces trois côtés, car ils le montrent en relation avec le reste du monde de trois manières différentes.Son corps le met en relation avec les objets qui s’offrent du dehors à ses sens. Les substances du monde extérieur composent ce corps ; les forces du monde extérieur agissent sur lui...
Il peut observer sa propre existence corporelle au moyen de ses sens, exactement comme il observe les objets du monde extérieur. Mais il lui serait impossible de considérer de la même manière l’existence de l’âme. Tous les phénomènes physiques qui se passent en moi, peuvent être observés par les sens physiques. Mon plaisir ou ma peine, ma joie ou ma douleur, ne peuvent être perçus ni par moi, ni par un autre, au moyen des sens physiques. La vie de l’âme est un domaine inaccessible à la perception sensible. L’existence physique de l’homme est manifeste aux yeux de tous, mais la vie de l’âme est un domaine qui n’appartient qu’à lui...
Par l’esprit, enfin, le monde extérieur lui est révélé d’une manière plus haute. Les mystères du monde se dévoilent en lui, il est vrai, mais par l’esprit il se dépasse lui-même, et il laisse les choses parler leur propre langage, lui apprendre ce qui a, pour elles, et non pour lui, une signification.Nous levons les yeux vers le ciel étoilé : le ravissement qu’éprouve notre âme fait partie de nous-même ; les lois éternelles des étoiles que notre pensée, que notre esprit saisissent ne nous appartiennent point, elles appartiennent aux astres.L’homme est donc citoyen de trois mondes. Par son corps, il appartient au monde que son corps perçoit ; par son âme, il édifie son propre monde ; par son esprit, se révèle à lui un monde supérieur aux deux autres.Il nous paraît évident que, étant données les différences fondamentales qui existent entre ces trois mondes, nous devrons leur appliquer trois modes distincts d’observation, qui nous permettront de les connaître et de saisir la part que l’homme prend à leur existence...
Par les sens physiques on connaît le corps de l’homme, et le mode d’observation qui lui est propre ne saurait être différent de celui que nous appliquons à tout autre objet sensible. On peut considérer l’homme comme on considère les minéraux, les végétaux, les animaux. Il est apparenté à ces trois formes d’existence. Comme le minéral, il édifie son corps de substances empruntées à la nature ; comme la plante, il croît et se reproduit ; comme l’animal, il perçoit les objets qui l’entourent et, avec les impressions qu’ils produisent sur lui il construit sa vie intérieure. On est donc en droit de reconnaître à l’homme une existence minérale, une existence végétale et une existence animale.La diversité de structure que présentent les minéraux, les plantes et les animaux correspond à ces trois modes d’existence. Et on n’est en droit d’appeler corps, cette structure, cette forme que les sens perçoivent. Or, le corps de l’homme diffère de celui de l’animal. Chacun doit reconnaître cette différence quelque opinion qu’il puisse professer par ailleurs sur la parenté de l’homme avec l’animal...
Même le matérialiste le plus absolu qui nie l’existence de toute âme, est tenu de souscrire à cette phrase de Carus dans son ouvrage : L’Organe de la Nature et de l’Esprit :« La structure intime et délicate du système nerveux et particulièrement celle du cerveau,demeure, il est vrai, pour le physiologiste et l’anatomiste, une énigme irrésolue ; mais il est un fait tout à fait établi, c’est que la concentration de ces structures s’accroît de plus en plus dans l’animalité pour atteindre chez l’homme un degré qu’elle ne possède chez aucun autre être ; ce fait est de la plus haute importance pour le développement intellectuel de l’homme, on peut même affirmer qu’il suffit à l’expliquer. Quand le cerveau ne s’est pas convenablement développé, quand il est resté petit et chétif, comme chez le microcéphale et l’idiot, il est de toute évidence qu’il ne saurait pas plus être question de production d’idées personnelles et de connaissance, qu’il ne saurait être question de propagation de l’espèce chez des personnes dont les organes de reproduction sont atrophiés...
En revanche, la structure harmonieuse et forte du corps entier et en particulier du cerveau ne peut évidemment pas tenir lieu de génie, mais elle est, en tous les cas, la condition primordiale et indispensable à l’élaboration d’une connaissance supérieure ».De même que l’on reconnaît au corps humain les trois modes d’existence, minéral, végétal et animal, il faut lui en accorder encore un quatrième qui est le mode spécifiquement humain. Par le mode minéral de son existence l’homme est apparenté à tout le monde visible, par le mode végétal,à tous les êtres qui croissent et se reproduisent, par le mode animal à tous ceux qui perçoivent leur entourage et qui développent une vie intérieure sur la base des impressions extérieures ; par le mode humain de son existence, l’homme forme déjà, même au point de vue du corps, un règne à part...
Constituant un monde intérieur particulier, la nature psychique de l’homme diffère de sa nature physique. Son caractère spécial nous apparaît dès que nous considérons la sensation, même la plus élémentaire. Nul ne saurait dire, de prime abord, si un autre a exactement la même sensation que lui. Le daltonisme est un fait connu. Aux personnes qui en sont atteintes, les objets n’apparaissent colorés qu’en différentes nuances de gris. D’autres ne sont aveugles qu’à certaines couleurs. L’image du monde que leurs yeux leur donnent est différente de celle que perçoivent les hommes dont la vue est considérée comme normale. On peut en dire à peu près autant des autres sens. Sans aller plus loin, nous pouvons conclure de ce qui précède que la plus simple des sensations appartient déjà au monde intérieur...
Par mes sens physiques, je peux percevoir la table rouge que perçoit également un autre homme ; mais je ne peux pas percevoir la sensation du rouge qu’a cet autre homme.Par conséquent il faut considérer les sensations comme des phénomènes psychiques. Qu’on saisisse ce fait dans toute son évidence et l’on cessera bientôt de considérer les expériences intérieures comme des phénomènes uniquement cérébraux. À la sensation se rattache en premier lieu le sentiment. Parmi nos sensations, les unes nous causent du plaisir, les autres de la peine.Ce sont là des modifications de notre vie intérieure. Nous édifions, avec nos sentiments, un second monde qui vient s’ajouter au monde extérieur, lequel agit sur nous du dehors. Un troisième facteur intervient, c’est la volonté. Par la volonté nous réagissons sur le monde extérieur. Et nous impressionnons ainsi le monde extérieur par notre être intérieur. L’âme humaine se déverse en quelque sorte vers l’extérieur par ses actes volontaires. Les actes de l’homme se distinguent des phénomènes de la nature en ce qu’ils portent l’empreinte de sa vie intérieure. Ainsi l’âme est, en face de la nature, le propre de l’homme. Il reçoit du dehors les excitations ; mais, conformément à celles-ci, il construit en lui-même un monde qui lui est propre...
Sur la base du corps s’édifie donc la vie de l’âme.La vie psychique de l’homme n’est pas uniquement déterminée par le corps. Nous ne courons pas, sans but, ni direction, d’une sensation à l’autre ; nous n’agissons pas non plus sous l’impulsion d’une excitation quelconque provenant de notre corps ou du monde extérieur.Nous réfléchissons sur nos perceptions et sur nos actions. Ainsi, nous acquérons des connaissances sur les objets de nos actions, et nous apportons de la logique dans notre vie. Nous savons que nous n’accomplirons dignement notre devoir d’homme que si notre connaissance et nos actes sont guidés par des pensées justes. Notre âme se trouve donc placée entre deux nécessités. Elle est déterminée par les lois du corps, c’est là une nécessité que lui impose la nature. Elle se laisse déterminer par les lois logiques qui la conduisent à bien penser, parce qu’elle en reconnaît elle-même la nécessité...
L’homme est soumis par la nature aux lois d’assimilation et de désassimilation ; il se soumet lui-même aux lois de la pensée. Il se rattache ainsi à un ordre supérieur à celui de la nature auquel l’astreint son corps : c’est l’ordre de l’esprit. Autant la vie du corps diffère de celle de l’âme, autant celle-ci diffère de la vie de l’esprit. Tant qu’on ne parle que des particules de carbone, d’hydrogène, d’azote et d’oxygène qui entrent dans la composition du corps, on n’envisage pas l’âme. La vie de l’âme ne commence que lorsque, à ces mouvements moléculaires, s’ajoute la sensation : je goûte une saveur sucrée, j’éprouve un plaisir. De même, on n’atteint pas l’esprit tant qu’on ne considère que les impressions psychiques que nous éprouvons lorsque nous nous abandonnons complètement au monde extérieur et à la vie de notre corps. Cette vie psychique constitue bien plutôt la base de la vie spirituelle, comme la vie du corps est la base de la vie de l’âme...
Le savant naturaliste s’occupe du corps, le psychologue de l’âme et l’investigateur spirituel de l’esprit.Il faut exiger de toute personne qui veut arriver à comprendre par la pensée la nature humaine, qu’elle étudie sa propre personnalité, afin d’y distinguer clairement le corps, l’âme et l’esprit. Nous ne nous ferons une idée exacte de notre propre nature que si nous nous rendons compte du rôle qu’y joue la pensée. Le cerveau en est l’instrument physique.De même qu’il faut un œil bien constitué pour voir les couleurs, il faut à la pensée un cerveau bien conformé. Le corps humain est ainsi construit qu’il trouve son couronnement dans l’organe de l’esprit, le cerveau. On ne comprend la structure du cerveau de l’homme, que si on le considère au point de vue de sa tâche,qui est de servir de base physique à l’esprit pensant...
L’étude comparée du règne animal fait ressortir clairement cette destination. Chez les amphibies, le cerveau est encore petit en comparaison de la moelle épinière ; il grandit chez les mammifères. Chez l’homme, c’est l’organe relativement le plus grand de tout l’organisme.Beaucoup de préjugés s’opposent au point de vue que nous avons adopté ici concernant la Pensée. Bien des personnes sont portées à déprécier la pensée et à lui préférer « la vie intime du sentiment, de la sensation ». On va même jusqu’à dire que ce n’est pas par la « froide pensée »,mais par la chaleur du sentiment, par le pouvoir immédiat de la sensation qu’on s’élève aux connaissances supérieures. Ceux qui parlent ainsi craignent d’émousser leurs sentiments par la pensée claire. Ils ont raison s’ils ne considèrent que la pensée courante, celle qui s’applique aux objets d’utilité pratique. Mais le contraire est vrai, lorsqu’il s’agit des pensées qui nous entraînent vers des régions supérieures de l’existence...
Aucun sentiment, aucun enthousiasme ne saurait égaler les sensations de chaleur, de beauté et de grandeur qu’éveillent en nous les pensées pures,cristallines que nous dirigeons vers les mondes supérieurs. Les sentiments les plus hauts ne sont pas ceux qui naissent « d’eux-mêmes », mais ceux que l’on conquiert par le travail énergique de la pensée.Le corps humain est construit en vue de la pensée. Les substances et les forces du règne minéral se retrouvent en lui, mais elles sont disposées de manière à permettre la manifestation de la pensée. Nous appellerons le corps minéral, dont la structure répond à ce but déterminé, le corps physique de l’homme. Le corps minéral, qui trouve son couronnement dans le cerveau doit son existence à la génération et atteint son plein développement par la croissance...
La génération et la croissance sont communes à l’homme, à la plante et à l’animal ; elles différencient l’être vivant du minéral inerte. L’être vivant naît de l’être vivant par le germe, une lignée vivante rattache le descendant à l’ancêtre ; tandis que les forces qui provoquent la naissance d’un minéral s’exercent sur les substances qui le composent.Le cristal de roche doit son existence aux forces inhérentes au silice et à l’oxygène qui se combinent en lui. Par contre, il nous faudra remonter par le germe aux organismes paternel et maternel pour trouver les forces qui édifient un chêne. Et la forme du chêne se transmet par la génération de l’ascendant au descendant. Nous nous trouvons ici en face de conditions innées,inhérentes à la plante. C’était une conception grossière que celle qui admettait que les animaux inférieurs et même les poissons pussent se former du limon de la terre...
La forme de l’être vivant se transmet par hérédité. Le développement que poursuit un organisme vivant, dépend entièrement des organismes dont il est issu, autrement dit, de l’espèce à laquelle il appartient. Les substances qui le composent changent constamment, mais il conserve durant toute son existence les caractères de son espèce et il les transmet à ses descendants. C’est donc l’espèce qui détermine la combinaison des substances. Nous appellerons force vitale la force qui détermine l’espèce. De même que les forces minérales s’expriment dans les cristaux, de même la force vitale constructrice s’exprime dans les espèces ou formes de la vie animale ou de la vie végétale...
Nous percevons les forces minérales par le moyen de nos sens. Et nous ne percevons que les objets auxquels nos sens s’appliquent. Sans œil, nous ne percevrions pas la lumière, et sans oreille le son. Des sens possédés par l’homme, les organismes inférieurs n’ont que celui du toucher. Ils ne perçoivent, à la manière des hommes, que les forces minérales qui sont accessibles au toucher. Le monde s’enrichit pour les organismes animaux supérieurs dans la mesure où se développent chez eux les autres sens. Il dépend donc des organes que possède un être vivant que le monde existant en dehors de lui existe également pour lui, en tant que perception et que sensation. Un certain mouvement de l’air se traduit chez l’homme en sensation auditive.Nous ne percevons pas par nos sens ordinaires les manifestations de la force vitale. Nous voyons les couleurs de la plante, nous sentons son parfum, la force vitale reste cachée à ce genre d’observation. Nous ne pouvons nier la force vitale parce que nos sens ne la perçoivent pas, pas plus que l’aveugle n’est en droit de nier les couleurs qu’il ne peut voir...
Les couleurs existent pour l’aveugle dès qu’il a été opéré ; de même outre les individus, les diverses espèces animales ou végétales que créé la force vitale, nous deviennent perceptibles, quand l’organe approprié s’ouvre en nous. Un monde tout nouveau se découvre alors. Nous percevons, outre les couleurs, les parfums, etc., des êtres vivant, la vie même qui les anime. Dans chaque plante, dans chaque animal nous voyons, en plus de la forme physique, la forme spirituelle remplie de vie. Nous appellerons celle-ci le Corps Éthérique ou Corps Vital.Voici comment la chose se présente à l’investigateur de la vie spirituelle. Le corps éthérique n’est pas pour lui le simple produit des substances et des forces du corps physique, c’est un véritable corps indépendant et c’est lui, au contraire, qui donne la vie aux substances et aux forces physiques. Nous plaçant au point de vue de la science spirituelle, nous dirons : un corps exclusivement physique, un cristal par exemple, doit sa structure aux forces constructrices physiques inhérentes aux substances inertes ; un corps vivant ne doit pas sa forme à ces forces-là, car dès l’instant où la vie lui échappe et où il est abandonné aux seules forces physiques,il tombe en décomposition...
Le corps vital est une entité qui, durant la vie, préserve à chaque instant le corps physique de la décomposition. Pour voir ce corps vital, pour le percevoir chez un autre être, il faut que l’œil spirituel soit éveillé. On peut admettre l’existence de ce corps pour des raisons logiques,on peut le voir avec l’œil spirituel, comme on voit la couleur avec l’œil physique. Qu’on ne se formalise pas du terme « corps éthérique ». Le mot d’« éther » désigne ici autre chose que l’éther hypothétique de la physique. Qu’on ne donne au terme de « corps éthérique » que le sens que nous lui attribuons. De même que le corps physique, le corps éthérique de l’homme porte dans sa structure l’empreinte de la tâche qui lui est dévolue. On ne le comprend, lui non plus, qu’en regard de l’esprit pensant. C’est par la dépendance où il se trouve de celui-ci, que le corps éthérique de l’homme diffère de celui des animaux et des plantes...
Or, de même que l’homme appartient au monde minéral par son corps physique, il appartient au monde vital par son corps éthérique. Après la mort, le corps physique se dissout dans le monde minéral, et le corps éthérique dans le monde vital. Nous appelons « corps », ce qui donne sa « forme » à un être, à quelque espèce qu’il appartienne. Il ne faut pas limiter l’expression de « corps » à la forme du corps sensible. Dans le sens que nous lui donnons dans cet ouvrage, ce terme s’applique aussi bien aux formes psychiques ou spirituelles.Le corps éthérique est encore quelque chose d’extérieur à l’homme. Dès que naît la sensation, c’est l’être intérieur lui-même qui répond aux excitations du dehors. Si loin qu’on puisse poursuivre ce que l’on est en droit d’appeler le monde extérieur, on ne trouve nulle part la sensation...
Le rayon lumineux pénètre dans l’œil, il s’y propage jusqu’à la rétine. Là, il provoque des phénomènes chimiques (dans ce qu’on appelle le pourpre rétinien). L’effet de l’excitation se continue par le nerf optique jusqu’au cerveau ; là se produisent de nouveaux phénomènes physiques. S’il était possible de les observer, on les verrait pareils à tout autre phénomène physique se déroulant en un point quelconque du monde extérieur. Lorsqu’on est capable d’observer le corps éthérique, on constate que le processus cérébral physique s’accompagne d’un processus vital. Mais on ne trouve pas là encore la sensation de couleur qu’éprouve celui dont l’œil reçoit le rayon lumineux...
Cette sensation naît dans l’âme, et l’être qui ne se composerait que d’un corps physique et d’un corps éthérique l’ignorerait toujours. L’activité qui donne naissance à la sensation se distingue essentiellement de celle de la force vitale constructrice. Elle fait jaillir de celle-ci une expérience intérieure. Sans elle, il n’y aurait jamais qu’un simple phénomène vital, comme celui qu’on observe chez la plante. Considérons un homme qui reçoit de toutes parts des impressions.Nous devons nous le représenter, en même temps, comme la source d’une activité qui répond à toutes les impressions par des sensations. Or, le centre de cette activité, nous l’appelons l’âme sensible. Elle a autant de réalité que le corps physique. Si, considérant un être humain, je fais abstraction de son âme sensible pour ne prêter attention qu’a son corps physique, c’est exactement comme si devant un tableau je ne considérais que la toile. Les remarques que nous avons faites, concernant la perception du corps éthérique, s’appliquent également à celle de l’âme sensible. Les organes physiques sont « aveugles » à l’égard de celle-ci. Et l’organe qui perçoit la vie proprement dite ne la voit pas davantage...
Mais il existe un organe encore supérieur pour lequel le monde intérieur devient l’objet d’une perception suprasensible. Grâce à lui, nous n’éprouvons plus seulement les impressions des mondes physique et vital, nous voyons les sensations. Le monde des sensations d’un autre homme nous devient une réalité objective.Ne confondons pas la vie de nos propres sensations avec la vision des sensations d’un autre.Il est évident que chacun de nous peut pénétrer le monde de ses propres sensations ; mais seul le voyant, dont l’œil spirituel est ouvert, peut contempler le monde des sensations d’un autre homme.Lorsque l’on n’est pas voyant, on ne connaît le monde des sensations qu’en tant qu’expérience « intérieure » ; quand l’œil spirituel s’est ouvert, le monde caché à l’« intérieur »d’un autre homme se dévoile au regard spirituel objectif...
Afin d’éviter toute confusion, qu’il soit bien établi que le voyant n’éprouve pas lui-même les sensations qui forment la vie intérieure d’un autre être. Tandis que celui-ci éprouve en lui-même les sensations, le voyant en perçoit la manifestation, l’expression.L’âme sensible dépend du corps éthérique au point de vue de son action. C’est de lui qu’elle tire les éléments des sensations qu’elle fait éclore. Et, comme le corps éthérique représente la vie même du corps physique, l’âme sensible dépend aussi, indirectement, de ce dernier. La sensation exacte des couleurs n’est possible que lorsque l’œil vivant est bien constitué.Voilà comment le corps influence l’âme sensible dont il détermine et limite l’activité. Le corps est donc édifié à l’aide des substances minérales, il est animé par le corps éthérique et il limite lui-même l’âme sensible...
Le voyant, qui possède l’organe nécessaire à la perception de l’âme sensible, peut le constater. Mais les limites de l’âme sensible ne coïncident pas avec celles du corps physique ; l’âme déborde sur le corps. Elle est donc plus puissante que lui. Cependant, la force qui la limite est issue du corps physique.De ce fait, un nouvel élément de l’être humain s’insère entre le corps physique et le corps éthérique d’une part et l’âme sensible d’autre part ; c’est le corps animique ou corps sensible. On peut dire aussi qu’une partie du corps éthérique est plus fine que l’autre et qu’elle forme une unité avec l’âme sensible, tandis que la partie la plus grossière forme une sorte d’unité avec le corps physique. Cependant l’âme sensible déborde sur le corps sensible. Ce que nous appelons sensation n’est qu’un des éléments de la vie de l’âme. (Nous avons choisi le terme « d’âme sensible » dans un but de simplification). Aux sensations s’ajoutent les sentiments de plaisir et de peine, les instincts,les passions. Ils ont tous le même caractère personnel que les sensations et dépendent comme elles,du corps...
Si d’une part, des rapports existent entre l’âme sensible et le corps, il en existe aussi entre elle et la pensée, l’esprit. Tout d’abord, la pensée la sert. Nous réfléchissons sur nos sensations et nous nous éclairons ainsi sur le monde extérieur. L’enfant qui s’est brûlé réfléchit et en lui naît la pensée que le feu brûle. Nous n’obéissons pas aveuglément à nos instincts, à nos passions, par la réflexion nous cherchons le moyen de les satisfaire.C’est ainsi que se développe notre civilisation matérielle. Elle est due aux services que la pensée rend à l’âme sensible.Une force mentale incalculable se dépense dans ce but. C’est elle qui construit les bateaux, le chemin de fer, le télégraphe, le téléphone, ceux-ci servent en majeure partie à satisfaire l’âme sensible. Comme la force vitale constructrice imprègne le corps physique, ainsi la force de la pensée imprègne l’âme sensible. La force vitale constructrice rattache le corps physique, du descendant, à celui de l’ascendant, et le soumet ainsi à une loi qui ne concerne pas le principe purement minéral. De même, la force de la pensée impose à l’âme sensible une loi qui ne lui est pas propre en tant qu’âme purement sensible...
L’âme sensible apparente l’homme à l’animal. L’animal a,lui aussi, des instincts, des passions. Il leur obéit aveuglément. Il n’y rattache pas de pensées indépendantes, dépassant l’expérience immédiate. Il en est de même, jusqu’à un certain point, de l’homme primitif. Il faut donc distinguer entre l’âme purement sensible et cette âme supérieurement développée qui utilise la pensée. Désignons celle-ci par le terme d’âme rationnelle.L’âme rationnelle imprègne l’âme sensible. Le voyant, qui possède l’organe de perception de l’âme, les distingue l’une de l’autre. Par la pensée l’homme franchit les limites de sa vie personnelle. Il acquiert une faculté par laquelle il dépasse sa propre âme. Il lui devient évident que les lois de la pensée concordent avec l’ordre du monde, et, grâce à cette conviction, il se sent chez lui dans le monde...
Cette concordance est un des faits essentiels qui nous permettent de connaître notre propre nature. Nous cherchons la vérité dans notre âme, celle-ci ne s’y révèle pas seule, les réalités du monde s’y expriment aussi. La vérité que reconnaît la pensée a une valeur propre, autonome, qui ne dépend point seulement de l’âme pensante mais qui concerne les réalités du monde. L’enthousiasme que m’inspire le ciel étoilé est affaire personnelle, les pensées que je développe sur le cours des astres ont autant de valeur pour la pensée de tout autre homme que pour moi. Il serait absurde de parler de mon enthousiasme sans parler de moi, mais il n’est pas absurde de parler de mes pensées sans qu’il soit question de moi.Car la vérité que je pense aujourd’hui était vraie hier aussi et le sera demain, même si elle ne m’occupe qu’aujourd’hui. La joie que peut me causer l’acquisition d’une connaissance n’a de valeur qu’aussi longtemps qu’elle dure, la vérité que renferme cette connaissance, a une valeur en soi, indépendamment de ma joie...
L’âme qui saisit une vérité établit entre elle-même et son objet un lien qui a sa valeur propre. Celle-ci ne disparaît pas plus avec la sensation de l’âme qu’elle n’est née avec elle. La vérité pure ne naît ni ne meurt, mais possède une valeur que rien ne saurait annihiler.Ceci ne contredit point le fait que certaines « vérités » humaines particulières n’ont qu’une valeur transitoire et apparaissent à un moment donné comme des erreurs partielles ou totales. Car nous devons admettre que la vérité éternelle existe bien en soi, quoique nos pensées n’en soient que des apparences transitoires.Même un homme qui, comme Lessing, estimant la vérité inconnaissable à tout autre qu’à Dieu, prétend être satisfait pour son éternelle recherche, ne lui dénie pas sa valeur d’éternité mais l’affirme au contraire. Car seul ce qui possède une valeur éternelle peut provoquer une recherche éternelle. Si la vérité n’était pas autonome, si les sentiments seuls lui donnaient un sens et une valeur, elle ne pourrait pas être un but unique pour tous les hommes. La rechercher, c’est lui reconnaître une existence indépendante. Et il en est de même du Bien.Le Bien moral est indépendant de toute inclination, de toute passion, tant qu’il leur commande et ne se laisse pas commander par elles...
Le plaisir ou le déplaisir, l’attrait ou la répulsion, sont des sentiments personnels à l’homme, le devoir les domine tous. Nous pouvons le placer si haut que nous sacrifions pour lui notre vie. Et plus l’âme est élevée plus elle anoblit ses inclinations, ses plaisirs, ses impulsions, de manière à ce que tous ses sentiments obéissent d’eux-mêmes au devoir, sans y être contraints. Comme le Vrai, le Beau porte en soi une valeur d’éternité et ne la reçoit pas de l’âme sensible.En éveillant en soi le Vrai et le Bien indépendants, l’homme s’élève au-dessus de l’âme sensible. L’esprit éternel illumine celle-ci. Une lumière inextinguible s’allume en elle. Dans la mesure où elle vit dans cette lumière, l’âme participe d’un principe éternel auquel elle unit sa propre existence. Le Vrai et le Bien qu’elle renferme sont immortels. Nous appellerons âme consciente ce principe éternel qui s’éveille dans l’âme. On peut déjà parler de conscience dans les manifestations inférieures de l’âme. La sensation la plus commune est accompagnée de conscience. Dans ce sens il faut également la reconnaître aux animaux. Nous entendons ici par âme consciente le noyau de la conscience humaine, l’âme dans l’âme. Et nous la distinguons de l’âme rationnelle, nous en faisons un élément indépendant. L’âme rationnelle est encore contrariée par les sensations, les instincts, les passions, etc...
Nous savons tous que, d’instinct, nous reconnaissons pour vrai ce que nous préférons.Mais seule est durable la vérité qui s’est affranchie de toute sympathie ou antipathie provoquées par la sensation. La vérité reste vraie, même si elle révolte tous les sentiments personnels. C’est cette partie de l’âme qu’habite la vérité que nous appelons âme consciente.De même que nous avons distingué trois corps, nous distinguerons donc trois âmes : l’âme sensible, l’âme rationnelle et l’âme consciente. Et, tandis que le corps exerce d’en bas sur l’âme une action limitative, l’esprit exerce sur elle d’en haut, une action expansive. Car, plus l’âme se pénètre de vérité et de bien, plus grandit et s’étend en elle le principe éternel. Pour le voyant qui la perçoit, le rayonnement d’une âme en qui croit le principe éternel est aussi réel que la lumière d’une flamme pour l’œil physique. Pour le « voyant » le corps physique ne représente qu’une partie de l’être entier, la partie la plus grossière...
Les autres parties le pénètrent et se pénètrent entre elles. Le corps éthérique remplit le corps physique de sa forme vitale ; le corps animique (forme astrale) déborde de toutes parts le corps éthérique ; à son tour l’âme sensible le dépasse, puis l’âme rationnelle qui s’étend à mesure qu’elle s’emplit de Vrai et de Bien. Sous leur influence elle grandit, en effet.L’homme qui s’abandonnerait à ses penchants, à ses sympathies et à ses antipathies aurait une âme rationnelle dont les limites coïncideraient avec celles de son âme sensible.Toutes ces formations au milieu desquelles le corps Physique apparaît comme enveloppé d’un nuage peuvent être appelées l’Aura humaine. C’est d’elle que s’enrichit l’Être humain lorsqu’on lui applique la vision que nous cherchons à décrire...
Au cours de notre enfance, il arrive un moment où, pour la première fois, nous sentons l’indépendance de notre être à l’égard de tout le reste du monde. Pour les natures sensibles cette expérience revêt une grande importance.Le poète Jean Paul écrit ce qui suit dans ses souvenirs :« Je n’oublierai jamais un événement de ma vie intérieure, que je n’ai encore raconté à personne. Ce fut la naissance de ma soi-conscience.Je pourrais indiquer le jour et l’endroit où elle eut lieu. Un matin, je n’étais alors qu’un tout petit enfant, je me tenais debout sur le pas de la porte, et je regardais à gauche, vers le bûcher lorsque, subitement, la vision intérieure : « Je suis un je », fondit sur moi comme un éclair, et cette certitude ne me quitta plus : pour la première fois, en cet instant, mon moi s’était contemplé lui-même, et ce fut pour l’éternité. Il n’est guère possible ici d’invoquer une erreur de mémoire, tout récit auquel aurait pu se mêler des détails inventés étant exclu, et cet événement s’étant déroulé dans le sanctuaire le plus secret de mon être...
Seul son caractère imprévu et nouveau fait que je me souviens des circonstances banales qui l’entourèrent. » Tout le monde sait que les petits enfants disent d’eux-mêmes : « Charles est sage », ou « Marie veut avoir cela ». Nous trouvons naturel qu’ils parlent d’eux-mêmes comme s’ils parlaient d’autres personnes, parce qu’ils n’ont pas encore pris conscience de leur personnalité indépendante de leur moi. C’est la soi-conscience qui permet à l’homme de se désigner lui-même comme un être séparé, indépendant, qu’il qualifie de « Je ».Nous réunissons dans ce mot « Je » tout ce que nous éprouvons en tant qu’êtres doués d’un corps et d’une âme. Le corps et l’âme sont les porteurs du moi, il agit en eux. Comme le corps a son centre dans le cerveau, l’âme a son centre dans le « Moi ». Nous recevons du dehors nos sensations,nos sentiments naissent par l’effet du monde extérieur ; la volonté s’exerce sur lui, puisqu’elle se manifeste par des actes. Le « moi » qui est l’essence véritable de l’homme, demeure invisible. Jean Paul dit avec une grande justesse : « cet événement se passa dans le sanctuaire le plus secret de son être. » Car, dans son moi, l’être est tout à fait seul. Et ce moi, c’est l’homme lui-même. C’est pourquoi nous pouvons désigner le corps et l’âme comme des enveloppes dans lesquelles nous vivons et qui forment les conditions corporelles nécessaires à notre activité...
Au cours de notre évolution, nous apprenons de plus en plus à mettre ces instruments au service de notre « moi ».Le mot « Je » se distingue de tous les autres mots de la langue. Quand on réfléchit à sa nature, il ouvre la porte à une compréhension plus profonde de l’être humain. Chacun de nous peut employer tout autre mot en l’appliquant à l’objet qu’il désigne. Tout le monde appelle une table « Table », une chaise « Chaise ». Mais le mot « Je » chacun de nous ne peut l’employer que pour se désigner soi-même, nous ne pouvons l’appliquer à aucun objet étranger. Le mot « Je » ne résonnera jamais du dehors à mon oreille pour me désigner moi-même. Du dedans seulement, d’elle-même seulement, l’âme peut s’appeler « Je ». Dès l’instant où nous nous appelons nous-même « Je »,quelque chose parle en nous qui n’a rien de commun avec les mondes dont émanent les « enveloppes », qui nous ont occupés jusqu’à présent...
Le moi devient de plus en plus le maître du corps et de l’âme. Cette évolution se marque dans l’aura humaine qui s’articule, s’enrichit, se colore de plus en plus. Le « voyant » constate l’action du moi sur l’aura. Le « moi » lui-même lui est invisible, il est vraiment caché dans le « sanctuaire le plus secret de l’être ». Le moi recueille les rayons de la Lumière Éternelle qui illumine l’homme. Et de même que nous réunissons dans le moi les expériences du corps et de l’âme, nous le pénétrons également de nos pensées de Vérité et de Bien.Les phénomènes sensibles se révèlent au moi d’un côté, de l’autre se révèle l’Esprit. Le corps et l’âme se consacrent au moi pour le servir, mais le moi s’abandonne à l’Esprit pour qu’il l’emplisse. Le moi vit dans le corps et dans l’âme, mais l’Esprit vit dans le moi. Et ce qui vit d’esprit dans le moi est éternel. Car le moi reçoit l’être et le sens de ce à quoi il s’unit...
En tant que vivant dans le corps physique, il est soumis aux lois minérales ; grâce au corps éthérique, il est régi par les lois de la reproduction et de la croissance ; par l’âme sensible et rationnelle, il obéit aux lois du monde animique. Dans la mesure où il se spiritualise, il est soumis aux lois de l’esprit. Tout ce qui est régi par les lois minérales et vitales naît et meurt, l’Esprit échappe à la naissance et à la mort.Le Moi vit dans l’âme. Bien que son expression la plus haute soit l’âme consciente, il faut dire cependant qu’il rayonne sur l’âme entière, qu’il l’emplit et que par elle il agit sur le corps. Or,dans le moi vit et rayonne l’Esprit. Le moi est « l’enveloppe » de l’esprit, comme le corps et l’âme sont celles du moi. L’esprit modèle le moi du dedans au dehors, l’univers le façonne du dehors au dedans. Nous appellerons « Soi spirituel » l’esprit modeleur et animateur du moi, parce qu’il se manifeste comme le moi ou le « Soi » de l’homme...
Voici comment l’on peut distinguer le « Soi spirituel » de l’âme consciente : Cette dernière est mue par la vérité Pure, affranchie de toute sympathie et de toute antipathie. Le « Soi Spirituel » porte en soi la même vérité, mais recueillie et isolée dans le « Moi » qui l’individualise. La vérité éternelle, en s’individualisant ainsi, en s’unissant au « Moi » confère à ce « Moi » lui-même l’éternité.Le Soi Spirituel est une révélation du monde spirituel dans le moi, de même que les sensations sont en lui, d’un autre côté, une révélation du monde physique.Le monde physique se manifeste en nous par les perceptions : rouge, verte, claire, sombre, dure, molle, chaude, froide, qu’il nous donne ; le monde spirituel se manifeste à nous par le bien et le vrai. Dans le même sens où nous appelons sensations les révélations que nous donne notre corps, nous appellerons intuitions celles que nous devons à l’esprit. La pensée la plus simple implique déjà de l’intuition, car nous ne pouvons ni la toucher ni la voir : elle exige une révélation de l’esprit au travers du moi...
Qu’un homme développé et qu’un homme primitif contemplent la même plante, leur expérience sera très différente. Cependant un même objet aura éveillé leurs sensations. Mais l’un pourra avoir sur cet objet des pensées plus parfaites que l’autre. Si les objets ne se révélaient à nous que par les sensations, toute évolution spirituelle serait exclue. Le sauvage sent la nature ; mais les lois de la nature ne se révèlent qu’à la pensée fécondée par l’intuition de l’homme hautement développé.L’enfant reçoit les excitations du monde extérieur et celles-ci éveillent sa volonté, mais les commandements du Bien moral ne se découvrent à lui qu’au cours de son développement, alors qu’il apprend à vivre dans l’esprit et à en reconnaître les manifestations.Sans œil, il n’y aurait pas de perception visuelle ; sans la pensée supérieure du Soi spirituel il n’y aurait pas d’intuition. La sensation ne crée pas plus la plante qui se colore, que l’intuition ne crée le monde spirituel, elle ne fait que nous le révéler.Les intuitions apportent au moi humain qui s’éveille dans l’âme les messages d’en haut, du monde spirituel, comme les sensations lui apportent ceux du monde physique. Et la vie de l’âme embrasse alors le monde spirituel, comme elle embrasse le monde physique par l’intermédiaire des sens. L’âme, ou plutôt le moi qui s’y éveille, ouvre de deux côtés ses portes : vers le corps et vers l’esprit...Extrait/Le livre de la méditation et de la vie/J.Krishnamurti
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Publié par Cristalyne 13 Juillet 2018